Société de l’information et développement durable : le développement de l'internet est-il soutenable ?

Date 28/1/2008 10:10:00 | Sujet : Société de l'information

Notes de prospective

Société de l’information et développement durable : le développement de l'internet est-il soutenable ?

Ce thème lié à la prospective de l'internet et de son impact sociétal se décline en plusieurs sous-thèmes esquissés dans l'article :

- Pour un développement « soutenable » de l’internet
- Pour une écologie du virtuel
- L’accumulation illimitée de données est-il « soutenable » ?

Des questions connexes plus polémiques peuvent s'y rattacher :

- Faut-il conserver des données sans contexte : sans indication de date, ou d’auteur, que rejetterait l’historien ou l’archéologue ?
- Pouvons nous continuer à alimenter indéfiniment les poubelles du virtuel ?
- L’internet pourri peut-il sans danger continuer à financer l’internet propre ?
- Pouvons nous nous reposer sur des intérêts privés pour faire le tri dans un bien public ?

Alors que la majorité des utilisateurs sont encore bien loin d’avoir assimilé les services offerts par la génération précédente, on peut voir dans le web 2.0 un package d’avancées technologiques et de concepts marketing plus ou moins hétéroclites, définis par la sphère marchande et destinées à :
- créer un sentiment d’obsolescence de ce qui le précède pour inciter les utilisateurs à un renouvellement des produits et services
- proposer une nuée de nouveaux services marchands s’insérant durablement dans toutes les niches de l’emploi du temps de l’utilisateur.
On peut aussi en saisir l’opportunité pour marquer une étape dans la réflexion sur le présent et l’avenir de l’internet, une occasion de réfléchir sur les enjeux et les risques d’un développement non maîtrisé, d’une « fuite en avant » ayant pour conséquence de déplacer les fossés numériques sans pour autant les réduire.C’est dans cette perspective que peut se poser la question : le développement de l'internet et plus généralement de la société de l’information est-il soutenable, à savoir « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.» ? Curieusement cette question a été complètement absente du Grenelle de l’environnement.
Pour pouvoir être qualifié de durable ou « soutenable » un processus de développement doit permettre d’atteindre et de maintenir un équilibre entre l'homme, l'argent et la nature ; il doit être Viable, Vivable et Equitable.
Trois qualités dont on peut se demander si elles caractérisent le développement de l’internet et de la société de l’information.
Il ne s’agit pas ici de traiter le sujet de façon exhaustive, mais de poser quelques jalons et quelques interrogations.

Le Web 2.0 une entreprise génératrice d’obsolescence
L'internet est très concerné par les réflexions sur le développement durable, aussi bien en ce qui concerne son existence réelle : ordinateurs et matériels consommateurs de matières premières rares, d'électricité, d'espace et producteur de rayonnements, de papier, de déchets ... que son existence virtuelle : consommateur de temps (l'objectif des opérateurs est d’investir tous les interstices de temps libre des utilisateurs), réceptacle de données dont le volume est en croissance exponentielle, et la qualité souvent difficile à apprécier.
La facilité d’usage comporte aussi le risque de désapprendre : depuis qu’ils disposent du GPS certains ne savent plus s’orienter à partir d’une carte routière…

Pour un développement « soutenable » de l’internet
L’obsolescence des matériels et logiciels organisée par la concurrence marchande sous prétexte d’innovation, induisent des déchets matériels et un gaspillage de ressources : combien de matériels en bon état de marche et de fournir le service attendu par l’utilisateur sont-ils rendus obsolescents par l’absence de support dans de nouvelles versions de logiciels.
Noter d’ailleurs le parallèle qu’on peut établir entre le développement des logiciels libres dans le domaine de l’informatique et des médicaments génériques dans le domaine médical.
L’objectif légitime de réduction de la consommation en énergie sert aussi la quête de sources d’obsolescences : un consortium de grandes sociétés essentiellement américaines et japonaise a formé le consortium Climate Savers Computing Initiative , avec l’ambition d’une réduction de 50% de la consommation des ordinateurs d’ici 2010. Ils estiment ainsi réaliser pour eux-mêmes une économie en coût d’énergie de 5,5 milliards de dollars et diminuer l’émission de CO2 de 54 millions de tonnes.
Google, l’un des promoteurs de ce consortium, vient de lancer un ambitieux programme d’investissement dans les énergies renouvelables.

Pour une écologie du virtuel
Si les ressources matérielles et énergétiques consommées par les produits informatiques relèvent d’une gestion durable analogue à celles d’autres branches industrielles, on peut s’interroger sur la gestion du virtuel : espace quasi illimité ouvert à tous (sous réserve d’être « connecté », c’est à dire encore à une minorité…). Espace que les différents pouvoirs cherchent à investir et à réguler.
Multiplication des filtrages et autres tentatives de contrôle : de la veille civique au « flicage » politique, de l’intelligence économique au profilage marchand.
Besoin aussi de confiance dans des critères de qualité de l’information :
- filtrages pour l’élimination de données néfastes à un certain public, comme dans le contrôle parental,
- développement de labels garantissant certaines qualités des contenus, comme le HON, label de confiance pour les sites concernant la santé, désormais reconnu en France par le ministère de la santé.
- conception de l’encyclopédie libre Citizendium plus exigeante sur la qualité de l’information que pour wikipédia :
« nous sommes une nouvelle espèce de wiki Web 2.0 :
- nous recherchons la crédibilité et la qualité, et pas seulement la quantité
- nous impliquons à la fois le public et les experts
- nous publions sous nos noms et non sous des pseudonymes
- nous travaillons de façon coopérative »
- le développement du logiciel libre revendiqué comme durable :
- équitable de par son mode coopératif de production et de distribution et son accessibilité aux économies pauvres,
- viable car enrichi par apports successifs et tournant sur linux, n’entraînant pas l’obsolescence matérielle
- vivable car encourageant des usages coopératifs et responsables

L’accumulation illimitée de données est-il « soutenable » ?
La quantité de données écrites nouvelles accumulées par l’internet dépassera bientôt la quantité de données écrites disponibles depuis le début de l’humanité.
L’internet source de désinformation autant que d’information : il n’y a pas de mécanisme d’élimination de l’information obsolète lorsque l’utilisateur qui l’a déposée ne se préoccupe pas de la mettre à jour, pas de mécanisme d’oubli et des moteurs de recherche qui ne dévoilent pas leurs algorithmes de recherche…
Il faudrait disposer de moteurs de recherche qui prennent en compte des critères de qualité de l’information proposée : les informations souvent consultées ne sont pas nécessairement les meilleures…

Ultimes questions
Faut-il conserver des données sans contexte : sans indication de date, ou d’auteur, que rejetterait l’historien ou l’archéologue ?
Pouvons nous continuer à alimenter indéfiniment les poubelles du virtuel ?
L’internet pourri peut-il sans danger continuer à financer l’internet propre ?
Pouvons nous nous reposer sur des intérêts privés pour faire le tri dans un bien public ?

Michel Elie
michel.elie@wanadoo.fr

1 Rapport Brundtland « Notre Avenir à Tous », 1987, http://www.wikilivres.info/wiki/index.php/Rapport_Brundtland
2 Les débuts laborieux du recyclage des déchets informatiques en France
Lemonde. | 14.06.07 http://abonnes.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-651865,36-920843@51-971195,0.html
3 http://www.climatesaverscomputing.org
4 http://en.citizendium.org
5 http://outils-reseaux.org/wikini/wakka.php?wiki=LLetDD/slide_show&slide=12




Cet article provient de L'observatoire des Usages de l'Internet
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