Trop éthique pour être au net ?

III - Devenu produit marchand, le don en ligne change la perception de la détresse et des remèdes à y apporter



   



" Communiquer a toujours un prix. Et le prix renvoie ici de plus en plus
à des stratégies financières et commerciales mondiales, bien éloignées
des idéaux de liberté et de fraternité qui fleurissent par ailleurs
dans les discours sur la société de l’information ".

Dominique Wolton


Nous avons vu que les acteurs de l’Internet charitable sont divers, et que leurs logiques propres peuvent modifier le fonctionnement même des associations qui se lancent à l’assaut du Net. Il nous reste à tenter de comprendre, au travers de l’étude de contenu de quelques sites emblématiques, en quoi leurs stratégies visent directement le comportement des internautes et pourraient bien transformer leur perception du don et de l’aide charitable, avec, en premier lieu, un effacement de la ligne de partage traditionnelle entre l’altruisme public et les intérêts privés.


A. Brouillage des cartes entre public et privé

Le non-dit est malheureusement la règle en ce domaine, et il est très souvent difficile pour l’internaute de faire le départ entre un site animé par une organisation non lucrative et un autre créé par un opérateur privé qui entend en tirer profit. La vitesse des bouleversements, fusions et acquisitions sur le net accroît cette opacité : un site fondé par un particulier altruiste, The Hunger Site, a ainsi été racheté en cours de rédaction de cette étude par un opérateur privé, GreaterGood.com, spécialiste du commerce en ligne à alibi charitable...

Les deux principaux sites permettant actuellement aux internautes de donner en ligne à différentes associations charitables canadiennes sont Give to charity, dont l’opérateur est une firme privée basée en Floride, et Community Storefronts, crée par le gouvernement fédéral pour favoriser le développement des transactions sur Internet, qu’elles soient commerciales, financières ou... éthiques.

Internet contribue ainsi fortement à brouiller les cartes entre les différents acteurs, dont les finalités sont pourtant diverses. Si pour un internaute nord-américain, la présence d’une firme privée dans le secteur caritatif n’a rien d’incongru ; elle sera moins familière aux internautes de la vieille Europe – où l’aide caritative s’est principalement bâtie sur la notion d’indépendance, et où les subsides des entreprises n’ont été accueillies par les associations qu’avec la plus extrême circonspection.

Or, au fil des liens, cherchant une information ou une possibilité d’action, l’internaute navigue désormais d’un site privé à un site public ou associatif, et la distinction entre " .org " non-lucratifs et " .com " commerciaux est de moins en moins opérante : de vraies ONG sont hébergées par des " .com ", et des sites " .org " ont un fonctionnement qui les rapproche singulièrement des pratiques du secteur commercial... Internet apparaît donc ici – à l’instar de bien d’autres domaines – comme le cheval de Troie d’une globalisation libérale, dans laquelle la vieille distinction entre bien public et intérêts privés vole en éclats...

Les galeries commerciales en ligne sont ainsi de plus en plus nombreuses à proposer aux ONG la création d’un site satellite habillé aux couleurs de l’association, avec son logo, ses informations, etc. il devient dès lors indiscernable pour l’internaute de savoir s’il est sur le site de l’association, ou sur le site d’une firme privée, qui entend certes reverser une commission à l’ONG, mais également en tirer un profit propre...

B. La perception de la détresse est-elle corpusculaire ou ondulatoire ?

Ce qui a changé c’est la façon dont les ONG peuvent désormais alerter et mobiliser dans le même mouvement la masse des donateurs potentiels : constituer dans le même flux le problème et sa solution, livrée au bon vouloir des généreux internautes sollicités... Tout est désormais entre leurs mains.

Sachant que les américains sont de plus en plus nombreux à faire de l’Internet leur principale source d’information, les phénomènes observées dans la sphère de la philanthropie sur Internet sont lourds de conséquence pour l’évolution future du secteur caritatif et de la représentation même du don, de l’assistance, et de " l’Autre ", celui qui au delà du maillage virtuel bénéficiera de la générosité des donateurs.

1. L’illusion du " don gratuit "

Une des expériences les plus marquantes concernant l’application de l’internet au domaine humanitaire a sans conteste été la création du site américain The Hunger Site, qui a connu un succès phénoménal depuis son lancement le 1er juin 1999. Fondé à l’origine par un particulier, le site repose sur une idée simple : chaque internaute est invité à cliquer sur une page sur laquelle figurent les bannières publicitaires de firmes commerciales. En échange de ce clic, les firmes reversent une commission, qui est entièrement affectée au World Food Program des Nations-Unies. Autrement dit, pour la première fois, les internautes ont la possibilité de " donner gratuitement ", avec pour seule contrainte leur acceptation passive d’un message publicitaire pendant une fraction de secondes... Pour les entreprises, l’intérêt de la démarche est clair : chaque clic effectif (page vue) leur est facturé 0,5 cent (3,7 centimes), alors que le coût d’une publicité " classique " sur Internet s’élève en moyenne à 3,5 cents, d’après le Boston Globe. De plus, face à la baisse tendancielle du " taux de clic " (nombre d’internautes qui cliquent effectivement sur une bannière publicitaire), le site de la faim peut se targuer de résultats nettement positifs : aux Etats-Unis, le taux de clic avoisine aujourd’hui les 0,5%, alors que The Hunger Site enregistre des scores de l’ordre de 3%.., ce que le site attribue au " capital sympathie " que ne manquent pas de s’attirer les sponsors participant à une aussi noble tache... La démarche est attractive pour les firmes, qui obtiennent un très bon taux de retour, pour un investissement d’environ 1.500 à 2.500$ par jour, mais cette réussite risque d'être éphémère : le taux de clic sur les bannières "humanitaires" devrait suivre la même courbe décroissante que le taux de clic sur les bannières commerciales.

Peu de temps après son lancement, le site enregistrait plus de 300.000 connexions par jour (35 millions de pages vues en six mois !), grâce à une propagation par bouche-à-oreille – ou plutôt par " mail-to-mail " - qui a atteint les cinq continents à une vitesse inouïe. Certes, les Etats-Unis fournissent plus des 2/3 des visiteurs, mais on trouve parmi les 15 premiers pays " donateurs " le Brésil, la Suède ou Singapour....

2. L’instrumentalisation des donateurs

Si l’opération est séduisante, et a prouvé de réels résultats (4500 tonnes de nourriture offerte aux Nations-Unies entre juin 1999 et janvier 2000, soit l’équivalent de 75 millions de repas, ou 28 millions de Francs), elle ne laisse pas d’interroger sur le sens pour les internautes de la démarche : non seulement l’acte de don, fondé jusque là sur une dépense – prendre sur ce que l’on a pour le donner à l’autre – devient gratuit, mais surtout l’internaute accepte d’être " instrumentalisé " par les sponsors, de vendre en quelque sorte sa passivité aux flux publicitaires. La magie des chiffres et du " gratuit " attire chaque visiteur dans une spirale sans fond, où il sera amené à livrer toujours plus d’informations sur lui, puisque c’est " pour la bonne cause ". La première démarche de l’opérateur privé GreaterGood, qui a racheté The Hunger Site fin 1999 a significativement été de lancer un vaste programme pour retenir les visiteurs, et collecter des informations plus précises sur ceux-ci. Avec le programme IMPACT, les visiteurs sont invités à s’abonner à une newsletter bimensuelle leur donnant des nouvelles du site et des " différents moyens de lutter contre la faim "... en échange de leurs coordonnées (nom/prénom/e-mail). Etant donné la nature de GreaterGood, on pressent que cette lettre sera vite truffée d’offres ciblées d’e-commerce à vocation ou alibi charitable...

La pérennité du " Hunger Site " n’est pourtant pas certaine: globalement, le clic humanitaire risque d’apparaître comme un " clic du pauvre ", attirant un nouveau public qui n’a pas forcément les moyens de donner de façon traditionnelle : est-ce vraiment le public visé par les publicitaires ? De même, au niveau mondial, les Indiens (dont le pays bénéficie du Programme alimentaire des Nations-unies), les Mexicains, les Malais, les Costaricains et les Polonais ont, ensemble, davantage cliqué sur les bannières du site que les Français et les Suisses réunis. Comme le souligne Yann Philippin, " en un sens, c’est assez sympathique : dans ce système, les pauvres peuvent décider eux-mêmes de l’aide dont ils doivent bénéficier. Pour cela il leur suffit de cliquer... et les annonceurs payent. Mais du coup ces derniers s’interrogent. Entre mars et septembre, le Hunger Site a perdu 30% de ses donateurs et 40% de ses annonceurs ".

3. Remédier à la misère en deux clics ?

Laisser croire que l’on peut donner sans que cela coûte quoi que ce soit... Dans la lignée du Hunger Site, de nombreux sites ont fleuri ces derniers mois aux Etats-Unis, collectant des fonds pour des causes aussi variées que la lutte contre le sida, la préservation de la forêt tropicale, la recherche contre le cancer, l’aide aux volontaires humanitaires, la protection de l’enfance, le maintien de la paix... ou tout à la fois, avec Free Donation, qui propose tout aussi bien de " soutenir les arts ", " arrêter le SIDA ", ou " abriter les sans abri "...

Et comme c’est gratuit, Free Donation se paie même le luxe de n’avoir pas encore d’ONG récipiendaire dans toutes les catégories de don... la FAQ indique que les dons seront bloqués sur un compte jusqu’à sélection d’une ONG œuvrant dans ce domaine (Quand et selon quels critères ? mystère...).

End Cancer Now et Peaceforall.com ouvrent une nouvelle piste, encore plus prometteuse : désormais, tout particulier pourra devenir " sponsor ", en payant 0,5 cts pour chaque bandeau vu... On imagine déjà l’immense champ fertile que constitueront les anniversaires, ainsi que les dons " en mémoire " d’un proche mort du cancer... Désormais, l’individu est au cœur du système, avec ses peines les plus intimes, sa volonté, et le " web charity show " se profile dans un proche horizon... Ces nouveaux sites n’enregistrent pour l’instant pas le nombre de visiteurs atteint par The Hunger Site, mais de 1000 à 5000 connexions/jours (soit quelques milliers de dollars récoltés) dans ce qu’on pourrait qualifier de phase de démarrage. Ils sont créés par des firmes privées (avec en général une retenue de l’ordre de 5% sur les dons, qui assure leur viabilité) aussi bien que par des ONG. Il s’agit principalement de sites, mais on a vu récemment (mars 2000) apparaître un moteur de recherche, combinant les résultats de Google et d’AltaVista : Searchtohelp.com...

En France, quelques sites commencent à apparaître, comme Mission humanitaire.com et Clickhumanitaire : le premier propose des missions ou projets à financer d’un clic, le second met en ligne une sorte de catalogue des sites proposant ce type de " don gratuit ".

Partout est véhiculée l’illusion que donner est à la fois sans effort et sans coût... De la même façon, on a pu laisser croire que le bénévolat virtuel pouvait être si simple qu’il n’implique ni engagement ni don de son temps personnel.

Cette illusion a généré des flots d’e-mails sans précédent, pétitions électroniques tous azimuts, allant du soutien aux femmes opprimées en Afghanistan aux protestations contre le démantèlement des déjà maigres services sociaux américains...

On peut s’interroger sur le bien fondé de ces pétitions, souvent trompeuses, vite " transférées " à de nouveaux destinataires après une lecture oblique, donnant à des milliers de personnes l’illusion d’avoir fait du bien en utilisant la touche " forward " de leur messagerie... Certaines réussites en ce domaine doivent être replacées dans un contexte plus global, qui a rendu leur succès possible. Ainsi, une centaine d’" activistes en ligne " d’ Action Network obtinrent en décembre 1999 - grâce à un flot de pétitions électroniques - le retrait du manufacturier automobile Ford de la " Global Climate coalition ", groupe créé pour discréditer les scientifiques alarmant l’opinion sur les effets à long terme de la pollution automobile. Mais ce succès n’a été rendu possible que par le support stratégique et les moyens de mobilisation – humains et non virtuels - mis en œuvre par l’association Free the Planet.

Il faut donc ici redire que le volontariat, même en ligne, prend du temps et coûte des efforts, et plutôt que d’engager les " donateurs " dans la spirale du " toujours plus simple ", mieux vaudrait prendre le temps de les éduquer sur les effets à long terme d’un réel effort de don, qu’il s’agisse de temps ou d’argent.

4. La magie des chiffres ou le leurre de la simplicité

Une des constantes de ces sites est de déclencher un réflexe quasi-pavlovien chez l’internaute, grâce à des chiffres-choc sensés valoir mieux que de longues explications.

Ainsi, FreeDonation.com, citant des chiffres de l’UNICEF, martèle qu’il suffit de 2 cents pour offrir un bol de riz ou une seringue hypodermique, 4 cents pour une capsule d’antibiotique, 6 cents pour vacciner un enfant contre la tuberculose ou lui éviter de devenir aveugle suite à une carence en vitamine A, 10 cents pour un cahier scolaire, etc, etc. The Hunger Site affiche dès sa page d’accueil une carte du monde sur laquelle clignotent alternativement les différents pays, au rythme des décès statistiques par malnutrition : " toutes les 3,6 secondes quelqu’un meurt de faim "... EndCancerNow.com rappelle que 563.000 américains mourront du cancer cette année, soit " plus d’un par minute ", et Saverainforest.net nous met en garde : " 2 acres de forêt tropicale disparaissent chaque seconde. La forêt tropicale produit 50% de l’oxygène que nous respirons ". Mais, Dieu soit loué, il suffit de " cliquer sur le bouton ci-dessus pour sauver la forêt tropicale "

5. Loin de la complexité des vrais enjeux...

Saverainforest.net est d’ailleurs un très bon exemple de la simplification réductrice à laquelle conduisent l’ensemble des sites de ce type.

La FAQ du site est particulièrement édifiante , avec des questions aussi burlesques que " combien de fois puis-je sauver la forêt tropicale par jour ? "... la réponse est d’ailleurs affligeante, puisqu’on ne peut être un super héros qu’une fois par jour...

Le principe initial est simple (chaque sponsor paye 0,5 cents par clic, ce qui permet de " sauver " 5 sq. ft de forêt), mais lorsqu’on entre dans le détail des questions-réponses, on pressent la complexité des enjeux : avec l’argent des sponsors, les terres vont être achetées à des états ou à des propriétaires privés, puis cédées à des organisations écologistes " amies " ou conservées dans le giron d’indigènes qui s’engagent à y maintenir la forêt dans son état " naturel "... les anciens occupants seront maintenus sur place s’ils s’engagent à utiliser la forêt de manière " responsable ". Autant de questions graves et complexes, qui concernent l’avenir des gens sur place, et auxquels l’internaute sommé de cliquer a peu de temps pour réfléchir...

Sans compter que le site précise qu’ " au moins 70% des fonds des sponsors vont à l’acquisition/preservation ", et qu’on est en droit de se demander où va le reste ?

Pour valoriser les généreux donateurs, le nombre d’hectares de forêt sauvés chaque jour est affiché sur le site le jour suivant, et, bien entendu on pourra visiter : " tout est prévu, stipule Rainforest.net, pour rendre la forêt accessible aux chercheurs et promeneurs "... En somme un parc d’attraction se dessine au bout du clic, une multipropriété des internautes (à l’ouest), qui s’offrent gratuitement des arpents verts là-bas (principalement au sud), en faisant peu de cas des problèmes réels locaux...

Dernier détail qui a son importance, Saverainforest.net est la filiale d’une compagnie privée qui a développé un personnage de dessin animé, " Kukura , gardien de la forêt "... On touche ici aux limites intimes du système : " l’autre ", celui qu’on aide, devient un stéréotype sympathique mais totalement fictionnel, un héros de jeu qui infantilise l’internaute.

6. Où la charité devient jeu...

La télévision nous avait certes habitués peu à peu à une " fausse présence " de l’autre, à l’illusion de participer à sa détresse. Ce qui est nouveau avec Internet est que ce simulacre est renforcé par l’illusion que l’on puisse agir sur la détresse, d’un simple clic, comme sur un jeu vidéo. Un autre exemple est particulièrement révélateur de ce leurre d’un genre nouveau : le site de l’ONG américaine Smile, spécialisée dans l’aide à la reconstruction chirurgicale du visage des enfants défavorisés, meurtris par les guerres ou " défigurés " de naissance. On peut observer sur la page d’accueil de leur site une petite fille dont la bouche est atrocement mutilée. Lorsque l’internaute visite les pages " donation " du site, et retourne ensuite sur la page d’accueil, la petite fille a été électroniquement opérée par la grâce de l’Internet, et arbore un éblouissant sourire de gratitude...

 

Magie des liens hypertexte : l’internaute est transporté de lien en lien, de texte en idée, de site public en site privé, de problème en solution... Quelle nouvelle perception de l’espace, de la logique, de l’action, de la compréhension cela détermine ?. Les travaux en cours de l’équipe du Palo Alto Research Center, autour du professeur Bernardo Huberman nous renseigneront sans doute à l’avenir sur l’ " écosystème " que constitue l’Internet et les règles qui le régissent.

7. Choisir ses pauvres...

Utilisant les capacités techniques de l’Internet, de nombreux sites caritatifs offrent désormais la possibilité d’affecter son don à un projet, pays ou programme particulier. Il ne s’agit plus par exemple de " soutenir le Secours Populaire ", institution à laquelle on fait confiance pour évaluer les urgences et y porter remède, mais de faire un don aux " victimes des inondations au Venezuela ". Sur le site de Care, le donateur peut ainsi affecter son don " là où les besoins sont les plus importants ", ou choisir parmi une liste de 6 pays " prioritaires ". Et même, pour un don supérieur à 10.000$, exiger toute autre affectation qui lui siéra...

En somme, l’internaute peut choisir " ses " pauvres, et se sentir plus impliqué dans les buts de l’organisation parce qu’il a pu décider entre des options prédéterminées... Pour les ONG, cela se traduit par une complexité accrue des relations avec les donateurs (qu’il faudra remercier et informer en fonction de l’affectation de leur don), et par un effort supplémentaire de marketing, pour mettre en avant des causes ou projets qu’elle estime importants, malgré leur faible succès auprès des donateurs.

Aboutissement logique de ce mouvement, à l’heure où les entreprises parlent de " management par projet " et où les citoyens font plus confiance à de micro-programmes locaux qu’à des institutions globales, forcément gabegiques... le site américain Virtual Foundation recueille différents projets à taille humaine, proposés par des ONG, groupes ou communautés sur le terrain, les sélectionne, et les présente au public, qui est sollicité pour les financer (don en ligne ou formulaire à imprimer). Plus d’une centaine de projets sont ainsi ouverts au financement, dans les domaines de la santé, de l’environnement, du développement durable, et la Fondation Virtuelle donne un compte-rendu détaillé des projets financés.

8. Tamagotchi humanitaire...

Sponsoriser un enfant, et obtenir jour après jour par le net des informations sur sa scolarité, son devenir... jusqu’à se sentir titulaire de " droits " sur sa vie, son avenir... " Ce n’est qu’un début ", déplore Steven Hearn, directeur-adjoint de Caractères, une agence de communication spécialisée dans le secteur associatif. " On peut imaginer que des associations spécialisées dans le parrainage d’enfants du tiers-monde installent des webcams pour permettre aux parrains occidentaux de suivre leur filleul au quotidien. Et le voient sourire quand ils cliquent pour lui donner 100F "...

Certains sites américains n’en sont d’ailleurs pas très loin, comme celui de la Wesley Mission, œuvre d’entraide chrétienne américaine qui a mis sur pied un programme de camps de vacances pour les enfants défavorisés, baptisé " Operation Hope ". Sur le site de l’association, les internautes sont invités à voir les photos et lire les parcours douloureux d’enfants qui ont bénéficié de ce programme, et à donner en ligne pour envoyer de nouveaux enfants en vacances. Le formulaire de don, assez cynique, demande " combien de jours de vacances voulez-vous offrir à un enfant défavorisé ", et calcule le montant de votre don en fonction de cette réponse...

Le site de l’association chrétienne Compassion International invite l’internaute fortuné à parrainer un enfant des antipodes en cliquant sur sa photo pour obtenir une fiche signalétique, donner de l’argent destiné à " favoriser son développement ", et échanger avec lui lettres et photos...

Save The Children, propose également de parrainer en ligne des enfants, pour " seulement 24$ par mois, soit à peine 79 cents par jour ". On choisit son enfant sur catalogue... (garçon ou fille, pays, âge...) au bout d’une procédure assez longue au cours de laquelle l’internaute doit fournir toutes ses coordonnées, et bien sûr son numéro de carte bancaire !

 

Certes, ces catalogues d'enfants existaient déjà sous une forme imprimée, mais la réactivité et la sensation d'immédiateté qu'offre l'Internet décuplent le phénomène de "marchandisation" des êtres vivants. Elles donnent le sentiment d'une "vraie" communication établie sur la seule base de la volonté des généreux "parrains". Or, comme le souligne Dominique Wolton, il faut " reconnaître que toute communication est un rapport de force. L’horizon indépassable de toute communication étant le rapport à l’autre, elle n’est jamais assurée de réussir "...

9. Charité tribale ?

A force de personnalisation, on enserre par ailleurs l’internaute dans un monde virtuel qui lui ressemble étrangement, puisque conçu sur la base de ses propres préférences, exprimées au fil de questionnaires, ou simplement déduites de sa navigation sur le web, soigneusement notée et étudiée... Lorsqu’on sait que l’Internet est devenu la principale si ce n’est la seule source d’information pour des millions d’occidentaux, et que par ailleurs ces informations sont de plus en plus finement calibrées en fonction de leur cible, on ne peut que redouter que l’information humanitaire se fasse désormais sur un mode communautaire, quasi " tribal ", avec, comme sur les photos du site Thehumanitariansite.org, de belles américaines permanentées jouant au docteur avec des enfants des antipodes, nus et souriants...

Plus insidieusement, le portail de donation Ireachout.com, comme beaucoup d’autres, modèle sa page d’accès en fonction de vos préférences, déduites de vos navigations précédentes. Ainsi, si vous avez visité la page de Médecins sans frontières lors de la session précédente, vous aurez en page d’accueil des nouvelles de cette ONG, un lien direct pour lui donner de l’argent, etc. Se met ainsi en place dans la galaxie réputée infinie du net de micro-univers narcissiques et clos, un anneau de Mœbius où l’internaute est invité à " préférer ses préférences "...

 

Le fantastique essor des sites de communauté ouvre la voie : déjà, le site DoughNet conçu pour les adolescents américains, leur propose non seulement de dépenser en ligne l’argent de poche offert par leurs parents (dans la limite d’un plafond fixé par ceux-ci...), mais également d’en donner une part à des associations philanthropiques ou d’œuvrer bénévolement pour le bien public au travers d’ONG qui acceptent de jeunes recrues...

Cette initiation précoce, intimement lié au consumérisme et à la récupération marchande de " communautés " virtuelles s’affirme dans la présentation qu’en fait le site : " Même si vous ne pouvez voter, faire des lois ou avoir votre nom sur une chaussure de basket, vous pouvez tout de même façonner le monde "...

Lorsque tout devient échangeable, bonne conscience contre bol de riz, on peut se poser la question de la valeur d’usage de ce qui est réellement échangé, et du sens que cela a pour les deux parties concernées. Et quelle prétendue " communauté " cela créée : unité de volontés réfléchies, ou agrégat grégaire d’individualité mêmement compatissantes... ? Les donateurs passent ainsi du statut de citoyens à celui de consommateurs de leur propre générosité. L’essayiste américain George Trow constatait il y a plus de vingt ans que "le rôle de la télévision est d’établir le contexte sans contexte, et ensuite de le commenter ". Ce constat lucide pourrait s’appliquer aujourd’hui à la charité sur le net : des millions d’internautes n’ont-ils pas désormais la possibilité d’y être informés (" mis en forme "...) de problèmes constitués (la famine en Afrique, la déforestation en Amazonie...), et, dans le même temps, d’y porter instantanément remède en se réchauffant à un soleil illusoire : le sentiment d’appartenir à la communauté de " ceux qui font le bien " ?

C. L’instrumentalisation des cyberdonateurs

1. La bataille pour la collecte d’informations personnelles

En octobre 1998, la branche canadienne de l’ONG United Way a signé un accord de partenariat avec Community Storefronts, site de commerce en ligne animé par le gouvernement fédéral canadien. Le lien établi entre ce dernier et le site créé par United Way pour une opération spéciale de collecte de fonds, a permis de collecter des fonds supplémentaires. A l’issue de l’opération, toutes les données nominatives (noms, téléphones et adresses e-mails) ont été informatiquement transmises à United Way, qui les a ajoutées à sa base de données.

Ces gigantesques transferts de fichiers sont désormais monnaie courante, et on peut se demander jusqu’où iront la collecte et l’échange d’informations personnelles. D’après une étude de l’Annenberg Public Policy Center les deux tiers des enfants américains âgés de 10 à 17 ans se déclarent prêts à révéler en ligne le nom de leurs magasins préférés en échange d’un cadeau. Plus de la moitié (54%) sont prêts à révéler les commerces préférés de leurs parents, voire (26%) des détails sur leurs activités favorites le week-end... 39% des adolescents (contre 16% des 10-12) reconnaissent qu’ils ont déjà fourni en ligne des informations les concernant. On imagine aisément que cette propension à livrer sur Internet des données personnelles ne peut qu’être amplifiée concernant des sites qui mettent en avant l’altruisme, la générosité et le désir idéaliste d’aider son prochain...

 

Aux Etats-Unis, les internautes, conscients qu’ils ne peuvent s’en remettre à l’autorégulation des sites en matière de respect de la vie privée, commencent à réclamer une loi protégeant la confidentialité des informations nominatives, sur le modèle européen. " L’ambiguïté de la privacy est flagrante lorsqu’un opérateur propose un confort accru de navigation sur Internet en échange de l’auto-établissement d’un profil, et l’envoi d’un agent intelligent qui circulera de site en site ".

 

La nouveauté introduit par l’Internet dans ce domaine est double : la collecte de données personnelles est infiniment facilitée par le réseau (on peut par exemple déduire une masse d’informations de la navigation d’un internaute, même s’il n’achète rien en ligne, alors que les fichiers marketing traditionnels reposaient sur l’acte d’achat), et par ailleurs les internautes ne payent en général rien pour accéder à l’immense contenu du net : la seule ressource pour les fournisseurs de contenu est donc devenue la collecte et la vente des informations personnelles concernant leurs visiteurs...Comme l’explique très bien Paul Sholtz, spécialiste américain de la " privacy ", le " produit " vendu par les médias traditionnels ne sont pas les programmes mais l’audience, et Internet pousse cette logique à son terme.

2. Marketing " one-to-one "

Comme le montre Philippe Lemoine, membre de la CNIL et co-président des Galeries Lafayette, la recherche en marketing a évolué des modèles de masse de la décennie 60 à l’analyse multicritère des années 70-80 (les patatoïdes permettant de caractériser des courants socio-culturels ou des tempéraments : "cigale", "fourmi"...). Mais il ne s’agissait encore que d’artefacts statistiques : n’étaient ciblés que des types purs, non des individus.

" Le One-to-One est apparu lorsque la technologie a pu retrouver l’homme derrière les artefacts, en s’inspirant des outils nés de la segmentation comportementale, ces grandes banques de données de millions de consommateurs, et des catalogues électroniques ". Il ne s’agit plus en fait d’améliorer le ciblage de l’offre, mais de partir du rôle accru du client et de l’utilisateur. Les sites de l’avenir ne seront probablement plus organisés par un commerçant, mais recomposés autour de la démarche du client. Grâce aux information collectées en temps réel, les sites (de la page d’accueil aux catalogues, en passant, pour ce qui nous intéresse, aux informations ou aux appels à dons) seront réorganisés pour s’adapter à la demande individuelle et unique de l’internaute. Cybernétique fiction ? Pas si sûr... Pour les Américains, la personnalisation fonctionne parce qu’elle repose sur l’adhésion des personnes, qui peuvent admettre des entorses à leur besoin d’intimité en échange des contreparties qu’elles peuvent en tirer (notamment être rassurés et obtenir des repères " personnalisés " dans l’univers déroutant du net).

" La nouveauté, c’est l’attrait que chaque internaute éprouve pour son " double informationnel" "  , avec lequel il peut encore jouer, sous couvert de pseudonymes, en attendant l’irruption de tiers aux visées trop précises, Big brother ou plutôt Big fathers protecteurs et souriants.

3. Un donateur, un message ?

Le secteur associatif américain a rapidement adopté les principes du marketing personnalisé. Les ONG les plus en pointe sont déjà bien loin des premiers balbutiements du marketing direct, où la même lettre générique et indigeste était envoyée à des milliers de prospects, en ne " personnalisant " que le nom du destinataire... Du fait de l’échange de fichiers entre associations, l’impression générale pour les destinataires de ces multiples mailings impersonnels devenant vite un sentiment d’accablement devant la multitude des causes, souvent justes...

Non, il s’agit aujourd’hui pour chaque organisation d’établir des relations personnelles avec ses donateurs potentiels, de les connaître toujours plus intimement, et de ne les solliciter qu’en fonction de leur profil...

L’exemple du World Wildlife Fund est particulièrement éclairant. Cette ONG environnementaliste a investi énormément d’argent pour créer une base personnalisée de volontaires et de donateurs. Le cœur de ce programme a été en octobre 1997 la création de " My Panda ", une page d’accueil personnalisable, sur le modèle des sites-portails (comme Yahoo, Voila, etc.).

En décembre 1998, la personnalisation a été affinée : chaque internaute pouvant désormais préciser ses champs d’intérêt, des zones géographiques ou des espèces à protéger, et recevoir ensuite par e-mail des informations sur les actions prévues dans ces domaines. à chacun est affecté un " passeport électronique " (environ 5000 sont aujourd’hui actifs), sur lequel s’inscrit chaque action effectuée : envoi de pétition par e-mail, bénévolat, dons.... Des messages de remerciement sont envoyés à chaque fois... et un message de rappel vient raviver la vigilance de ceux qui n’ont rien fait depuis un mois ! On touche ici aux limites de la personnalisation, et la générosité devient proche d’un réflexe pavlovien, nourri de culpabilisation... On est alors très proche du jeu, et nous avons vu que cette frontière est souvent perméable...

Pourtant, comme le relève Rob Stone, directeur des projets d’application chez AppNet, un tel degré de connaissance des intérêts individuels permet à l’organisation de cibler les bénévoles aptes à effectuer telle mission spécifique, en obtenant un excellent taux de réponse.

Après tout, le but premier de toute organisation n’est-il pas de bâtir et développer sans cesse un volant d’individus qui comprennent et soutiennent ses buts... ?

4. Le marketing de la permission

Vite entré dans les lexiques des spécialistes de l’Internet, le " marketing de la permission " cher à Seth Godin, ex-responsable de Yahoo !, est devenu le nirvana du secteur : comment faire en sorte que les internautes consentent à fournir un nombre toujours croissant d’informations personnelles, qui seront utilisées pour émettre un nombre tout aussi exponentiel d’offres calibrées, de publicités sur-mesure ? Comme le souligne Michael Schrage, spécialiste américain du réseau des réseaux au sein du MIT, les progrès technologiques rendent cette quête du " marketing consensuel " toujours plus aléatoire, comme l’ont montré les récents déboire de la firme américaine DoubleClick, accusée d’en faire peu de cas. Faute de cerner les contours de ce " consentement ", les affairistes du net risquent de coûteux et retentissants procès... Visiter un site signifie-t’il accepter les cookies ? Lorsqu’un internaute accepte de recevoir des sollicitations par courrier électronique, est-ce tous les jours ? Amazon.com ou ToysRus sont-ils autorisés à bombarder de propositions commerciales les personnes à qui vous avez offert un livre ou un jouet par leur intermédiaire ? Que signifie le " consentement " pour un enfant ? un adolescent ? une personne malade ? Des questions encore hypothétiques il y a deux ans ont aujourd’hui des implications qui se chiffrent en milliards de dollars.

Dans ce contexte, précise Michael Schrage, " il devient douloureusement évident que plus le consentement est explicite et plus il devient difficile pour les firmes de l’obtenir à un coût marginal. Certainement, nous verrons de plus en plus de compagnies du net payer leurs clients pour la permission et le consentement à partager des informations les concernant ".

La tentation peut dès lors être grande pour ces firmes d’obtenir un consentement à moindre coût en s’associant au secteur caritatif et en mettant en avant des arguments philanthropiques, au risque pour les ONG de devenir des vitrines des " for-profit ", dans un jeu manipulatoire dans lequel elles pourraient bien risquer leur âme...

5. " L’économie de l’attention "

La gigantesque collecte d’informations en cours n’a évidemment qu’une finalité : faire aux internautes des offres pertinentes et ciblées Encore faut-il pour cela retenir leur attention, et là encore de grandes manœuvres sont en cours... Partant du calcul simple qu’offrir un logiciel, un portable ou même un ordinateur revient moins cher, désormais, que capter l’attention d’un internaute, de plus en plus de firmes proposent des services " gratuits ", à condition que l’internaute accepte de subir un bombardement publicitaire. On a ainsi vu Richard Branson, PDG de Virgin, offrir un accès Internet gratuit, British Telecom des heures de communications sur téléphone mobile, sans oublier le projet des télécoms suisses d’abaisser progressivement le prix du téléphone à zéro en incluant des spots de pub dans les conversations... La firme américaine Free-PC propose, elle des ordinateurs gratuits... mais entièrement truffés de messages publicitaires (qui fonctionnent quelque soit l’application utilisée, du navigateur au traitement de texte) et de mouchards qui renseignent en temps réel la firme sur le comportement des abonnés... Pour les fondateurs de Free-PC, " les consommateurs ne détestent pas la publicité. Ils détestent la publicité pour des produits qui ne les intéressent pas ". L’imagination des annonceurs est sans limite, et on a vu récemment des télévisions offertes aux écoles américaines par une firme, avec pour seule contrainte que regarder un journal télévisé pour adolescents – parsemé de spots publicitaires – fasse partie des cours....

Le site américain CyberGold propose lui un " win-win exchange programme " qui donne accès à une batterie d’annonces publicitaires, pour des firmes qui rémunèrent l’attention des internautes... Appâté par les 8 dollars qu’offre, par exemple, un fabricant de walkman, l’internaute clique sur sa bannière, est invité à décliner son identité, et se voit selon les cas proposer un jeu, un questionnaire, une ballade vers un autre site... l’occasion pour l’annonceur de vérifier qu’il s’est bien imprégné du message...

 

Il est encore trop tôt pour prédire l’avenir de ce genre d’opérations, particulièrement de ce côté-ci de l’Atlantique, où le respect de la vie privée reste plus encadré qu’aux Etats-Unis. Il semble notamment que les consommateurs attirés par ces offres ne soient pas forcément ceux que recherchent les annonceurs. Comme l’explique Evan Schwartz, spécialiste de l’économie du net, " si vous monétisez l’attention, ça ne marche plus ". A moins, justement que ces firmes offrent une " valeur ajoutée éthique " à leurs offres...

 

Plusieurs sites privés parmi lesquels le très récent Ongiving.com ont ainsi entrepris de mettre en avant des arguments charitables ou humanitaires. Ces sites proposent aux internautes de télécharger une barre qui s’affichera lors de toutes leurs navigations ultérieures sur le web, les abreuvant de messages publicitaires. 85% du prix payé par les annonceurs pourra être affecté par l’internaute-cobaye à son œuvre de charité préférée ... Et aux annonceurs, OnGiving promet une cible captive " d’un haut niveau d’instruction ", " au pouvoir d’achat élevé ", et terriblement réceptive aux offres commerciales des entreprises qui leur permettent de soutenir pour rien leur bonne cause...

 

Autre exemple, le site américain Epidemic est un des pionniers du marketing viral : il propose aux internautes d’inclure automatiquement des publicités dans leurs e-mails, et d’être payés à chaque fois que quelqu’un clique sur un de ces bandeaux interstitiels... Mieux, Epidemic propose de reverser les sommes ainsi collectées à l’ONG de son choix, et encourage les ONG à faire connaître Epidemic parmi leurs sympathisants, pour trouver grâce à cela une source supplémentaire de revenus. Parmi les annonceurs figurent par ailleurs quelques ONG comme l’American Foundation for AIDS research, et United Way. L’idée paraît limpide : c’est l’internaute affilié qui va choisir les bandeaux publicitaires qu’il souhaite insérer dans ses mails... il y a donc de fortes chances que ces publicités intéressent ses proches (les destinataires des mails). La boucle est bouclée...

Ici encore, la volonté d’aider son prochain risque d’en sortir radicalement transformée, dans des processus complexes où la philanthropie se mêle intimement au consumérisme, et où il s’agit moins d’agir au profit de l’Autre que de subir, en devenant le spectateur de sa propre générosité virtuelle...

 

Au terme de cette troisième partie, un paysage particulièrement contrasté de la charité sur le net se dessine : le bien public s'y mêle intimement aux intérêts privés, de nouvelles formes de don apparaissent, fondées non sur la dépense mais sur l'acceptation passive d'un message publicitaire ou sur l'abandon partiel du droit à la vie privée.

Sur la forme, si la communication humanitaire sur le Net autorise de nouvelles prouesses (choix des bénéficiaires des dons, immédiateté du feed-back...), elle semble bien reposer sur les mêmes ressorts que le marketing direct postal: pathos, chiffres chocs, mise en avant des donateurs...

Sur le fond, l'Internet humanitaire remodèle en profondeur la perception de la souffrance à distance : les sites qui affluent donnent l'illusion de la réalité, l'illusion qu'on peut agir facilement, et jouent dans l'ensemble plus sur le réflexe que sur la conscientisation, la détresse de l'Autre devenant un simple "produit", que l'on peut échanger, promouvoir ou apaiser d'un clic.

Ces sites modifient la perception de l'Autre par l'internaute, mais également le propre univers de ce dernier, en l'enserrant dans un monde virtuel qui lui ressemble puisque bâti sur ses propres goûts, qu'il a lui même livrés. Car l'enjeu est moins ceux qu'on aide que ceux qui aident : les consommateurs occidentaux sur lesquels les entreprises sont avides d'engranger toujours plus d'informations ciblées...


   

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